Zygmunt Bauman (1925-2017) | Cairn.info

Hermès, La Revue

2017/2 (n° 78) 

« When you speak to Zygmunt, he’s very optimistic. It’s remarkable that at this stage of his life he is so engaged. He wants to know what is going to happen next year. He suggests that there is a real realm to navigate of personal responsibility, and that makes contact with young people »

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Zygmunt Bauman nous a quittés le 9 janvier 2017. Onze jours plus tard, Donald Trump devenait officiellement président des États-Unis d’Amérique. Nous avons sans doute été nombreux à vivre ces moments de perte intellectuelle, puis d’effroi politique, comme une triste et douloureuse concordance des temps, comme un entre-choc symboliquement brutal de deux conceptions du monde radicalement opposées – le sociologue anglo-polonais, auteur d’une œuvre théorique et critique aussi abondante que singulière, n’ayant jamais cessé de nous mettre en garde contre le retour toujours possible du pire. Le mal qui nous ronge n’est plus nécessairement celui des totalitarismes, du moins tels que nous les avons connus au xxe siècle, mais celui qui provient d’un système néolibéral à la dérive, d’un monde devenu de plus en plus instable et liquide, où les individus comme les fonctions peuvent à tout moment être interchangeables. C’est en l’occurrence un tel système dérégulé qui a permis à un animateur de téléréalité de devenir président de la plus ancienne démocratie des temps modernes[2][2] Au moins dans les termes. Voir à ce sujet : Gabriel.... Dans un article paru le 16 novembre 2016 (« Comment le néo-libéralisme a préparé la voie à Donald Trump [3][3] Zygmunt Bauman, « How Neoliberalism Prepared the Way... »), juste quelque temps donc avant sa mort, Zygmunt Bauman exprimait ses craintes vis-à-vis d’un désastre qui s’annonçait déjà depuis plusieurs décennies. Dans ce contexte, c’est souvent la figure de l’étranger qui se voit stigmatisée et considérée comme la source de tous les maux au nom d’un pouvoir souverain. C’est cet autre qui devient un « ennemi [4][4] Ibid. », en générant ainsi une vision systématiquement dualiste et manichéenne des réalités sociales et politiques.

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Une préoccupation majeure qui ressort distinctement de l’œuvre de Zygmunt Bauman est bien l’exploration du malaise qui affecte nos sociétés modernes et qui s’illustre par une liquéfaction progressive des institutions sociales ainsi que des grandes structures de sens. L’ouverture de la société semble avoir pris une signification que n’aurait jamais imaginé Karl Popper, pourtant l’inventeur de cette expression : « Il s’agit toujours d’une société qui avoue franchement sa propre incomplétude et qui désire donc découvrir ses propres possibilités, encore mal définies et sous-exploitées ; mais c’est aussi une société incapable de choisir son orientation avec certitude et de protéger ensuite l’itinéraire retenu [5][5] Zygmunt Bauman, Le Présent liquide. Peurs sociales.... » La faillite de l’éthique qui semble caractériser le temps présent n’appelle toutefois aucun catastrophisme. Les mots de Richard Sennett cités en exergue sont à cet égard assez éloquents. Les personnes qui ont eu la chance d’échanger avec Zygmunt Bauman témoignent également d’une vitalité intellectuelle demeurée intacte, même dans ces dernières années, pour un homme qui a pourtant mené tant de combats au cours d’une vie qui fut tout sauf rectiligne.

Bref retour sur un parcours de vie

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Né à Poznan en Pologne en 1925, au sein d’une famille juive non pratiquante, Zygmunt Bauman s’est réfugié en URSS avec sa famille en 1939, au moment du partage de la Pologne entre Hitler et Staline. Il s’engagea par la suite dans l’armée polonaise créée en Union soviétique, participant ainsi en tant que lieutenant à la libération de Berlin en 1945. Membre du parti communiste et officier, il fut promis après la Seconde Guerre mondiale à un avenir plutôt radieux dans la nouvelle Pologne. Mais très vite, une série d’événements vint contrarier le cours de cette existence dont les lignes paraissaient pourtant déjà toutes tracées. En 1953, Z. Bauman fut expulsé de l’armée à la suite d’une campagne antisémite lancée dans les pays de l’Est. Tirant profit de sa formation universitaire, Bauman entama alors une nouvelle période de sa vie, consacrée à l’enseignement et à la recherche. Il passa notamment une année à la London School of Economics où il rédigea une étude sur le mouvement socialiste britannique [6][6] Cette étude a été publiée en polonais en 1959 puis.... Il intégra ensuite l’université de Varsovie pour y enseigner, tout d’abord en tant que lecteur à la faculté des sciences sociales puis, de 1964 à 1968, en assurant la responsabilité de la chaire de sociologie générale de l’université de Varsovie. Ceci, avant d’être obligé de changer encore une fois de cap, cette fois contraint par le régime communiste de quitter la Pologne en 1968, lors des persécutions antisémites. Z. Bauman quitta donc la Pologne, tout d’abord pour Tel Aviv, puis pour la Grande-Bretagne où il fut finalement nommé professeur à l’université de Leeds en 1973. Il restera à Leeds jusqu’à sa mort, à 91 ans, tout en ayant été régulièrement invité dans de nombreuses universités à travers le monde.

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Tous ces changements de cap et de trajectoires se reflètent assez nettement dans le parcours intellectuel de Z. Bauman, dans la diversité des voies théoriques qu’il a été amené à suivre. La variété des auteurs (sociologues, philosophes, écrivains, etc.) qui l’accompagnent dans sa réflexion en témoignent. Parmi ceux-ci, on rencontre Karl Marx, Max Weber, Émile Durkheim, Martin Heidegger, Edmund Husserl, Theodor W. Adorno, Georg Simmel, Hannah Arendt, Emmanuel Levinas, Knud Løgstrup, Cornélius Castoriadis, Albert Camus et Antonio Gramsci, entre autres. Deux professeurs de l’université de Varsovie ont également joué un rôle de première importance dans sa formation intellectuelle, les professeurs Stanislaw Ossowski et Julian Hochfeld. Bauman révèle avoir été très influencé par ces deux anciens maîtres dans la conception qu’il a développée de la discipline sociologique : « Ce que j’ai appris d’eux était que la sociologie n’a pas d’autre – et ne peut avoir d’autre – sens (et aucune autre utilité) que d’être un commentaire en cours d’élaboration de “l’expérience vécue” de l’homme, aussi passagère et obsédante que puisse être cette expérience d’élucidation qui a toujours besoin de se mettre à jour [7][7] Zygmunt Bauman, in Keith Tester, Conversations with.... » La sociologie doit ainsi nous tenir à distance de toute prétention à vouloir expliquer le cours des choses de manière définitive et univoque et s’affirmer indépendamment des savoirs institués. Elle doit en ce sens coïncider avec un effort permanent pour rendre compte de la complexité de la réalité humaine, dans une démarche critique sans cesse renouvelée.

Les logiques contradictoires des sociétés liquides

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Dans le diagnostic souvent très corrosif que Z. Bauman propose de nos sociétés contemporaines, il ressort que la fragmentation de la vie sociale s’intensifie à mesure que la mondialisation « négative » se radicalise et que le consumérisme affecte tous les moments de l’existence. Ce qui motive un tel champ de préoccupation est la façon dont les relations intersubjectives et sociales évoluent aujourd’hui en étant affectées par des dynamiques de liquéfaction. Par la description de ces tendances, Zygmunt Bauman entend nous inciter à questionner l’évolution d’un monde où nos positions, nos décisions et nos responsabilités sont perpétuellement susceptibles d’être dévaluées, au profit du changement et de la nouveauté : « À l’état liquide, rien n’a de forme fixe, tout peut changer [8][8] Zygmunt Bauman, Identité, traduction de l’anglais par.... » Toutefois, et de manière sans doute très paradoxale, on voit se développer conjointement à ces tendances de liquéfaction une demande de normativité à mesure que les États semblent de plus en plus impuissants à intervenir sur l’ensemble des dérégulations économiques ou sur les diverses crises politiques. C’est ainsi, par exemple, que se produit une espèce « d’affinité élective » entre les immigrants (ou les vagabonds) – ces « humains gaspillés » de lointaines parties du globe déchargés dans « notre arrière-cour [9][9] L’âpreté de formules est ici très éloquente et traduit... » – et la moins supportable de nos peurs. Conjointement, l’ère du « tout jetable » nous prépare à accepter l’inacceptable. Dans la frénésie informationnelle qui constitue un symptôme de nos sociétés de consommation, l’attention soutenue au destin des autres et à leurs souffrances devient une expérience négligeable.

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Ainsi, notre attention est en permanence sollicitée puis détournée, nous passons d’une chaîne de télévision à une autre, nous zappons, comme nous évitons « les mauvais quartiers, les rues sordides, les ghettos urbains, les camps de demandeurs d’asile et autres zones “où l’on ne va pas”. Nous les évitons soigneusement (ou sommes conduits dans une autre direction) lors de nos escapades touristiques obligées [10][10] Zygmunt Bauman, Vies perdues : La modernité et ses... ». Non seulement les exclus ou les réfugiés ne suscitent pas d’attention médiatique spécifique, mais ils se voient « suspendus dans un vide spatial à l’intérieur duquel le temps s’est arrêté. Ils ne sont ni établis ni en mouvement ; ni sédentaires ni nomades [11][11] Zygmunt Bauman, L’Amour liquide. De la fragilité des... » : ils deviennent en ce sens la personnification des « indécidables ». Pour les réfugiés, qui ne sont réellement ni sédentaires ni nomades, la perspective de suites à long terme et leurs conséquences ne font pas partie de leur expérience quotidienne. Ils sont contraints de vivre au jour le jour, dans l’incertitude de leur propre devenir. À ce niveau, un grand apport de la réflexion de Z. Bauman est de révéler une continuité très sournoise entre les politiques de mise au rebut et les politiques sécuritaires visant à éviter le « retour des refoulés [12][12] Zygmunt Bauman, Vies perdues, op. cit., p. 56. Cf.... ». Une préférence pour la sécurité trouve de la sorte un écho tout à fait favorable dans l’organisation de la société. Vis-à-vis de telles problématiques, c’est tout un rapport à soi, comme au monde, qu’il s’agit de repenser à l’heure où des modes de vie plus standardisés et aseptisés se répandent, où le fait par exemple d’être en permanence connecté, de ne jamais se sentir seul (ou au moins d’avoir ce sentiment de pouvoir joindre quelqu’un à tout moment ou d’être joignable) est perçu comme une nouvelle modalité d’être-soi.

Le défi moral de notre condition présente

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C’est une recherche permanente de visibilité qui conduit chacune et chacun à être en réseau sans se préoccuper des éventuelles conséquences éthico-politiques de ces modes d’être en réseau. Ce qui préoccupait à cet égard beaucoup Z. Bauman ces dernières années, c’est que dans les sociétés liquides modernes nous pouvons très vite devenir des esclaves, au sens où Étienne de La Boétie parlait de la « servitude volontaire ». On en voit l’illustration dans la facilité avec laquelle les gens acceptent de livrer leurs secrets personnels sur la scène publique. Le soft power repose non sur la contrainte mais sur la séduction et la convivialité : « Nous faisons volontairement beaucoup de choses que les pouvoirs totalitaires cherchaient à imposer par la force et la violence ou la peur. La modernité liquide a inventé de nouvelles manières de nous ôter notre liberté de décision dans des proportions que les régimes totalitaires n’avaient même pas rêvées[13][13] Zygmunt Bauman, « La précarité est le seul élément.... » Interroger un tel phénomène est particulièrement complexe dans la mesure où, d’un côté, nous avons le sentiment que nous devons reprendre la main sur les systèmes de capture de nos données alors que, de l’autre, nous sommes de plus en plus accoutumés au fait de livrer des parts de nous-mêmes dans tous les moments de notre vie quotidienne, avec la valorisation sociale qu’une telle exposition entraîne souvent.

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Derrière les questions éthiques et sociologiques majeures qui se posent ici, c’est tout un régime de sensibilité qui est en jeu et qui doit nous engager à assumer une certaine inventivité morale : « Être responsable ne signifie pas suivre les règles : cela demande souvent de ne pas en tenir compte ou d’agir d’une manière qu’elles ne garantissent pas [14][14] Zygmunt Bauman, La vie en miettes. Expérience postmoderme.... » En quelque sorte, plus les situations sont inédites et contradictoires, plus elles doivent nous inciter à réfléchir aux conditions de possibilité de l’agir, aussi bien dans sa dimension morale que politique. Ce sont ces jalons que Z. Bauman nous semble avoir posés de manière significative et durable. À cet égard, il souligne avec force dans La Vie liquide que l’éducation et l’apprentissage devraient être pour les hommes et les femmes du monde moderne liquide une manière de garantir la poursuite de buts à haute valeur symbolique, en permettant ainsi à l’ingéniosité et à la créativité de continuer de s’épanouir[15][15] Zygmunt Bauman, La vie liquide, traduit de l’anglais.... L’une des raisons pour lesquelles ces processus devront être continus et se prolonger tout au long de la vie tient à la nature de la tâche qui sera de nous rendre attentifs aux enjeux de la responsabilisation dans des environnements de plus en plus complexes (sur le plan technologique notamment), les libertés des citoyens ne constituant jamais « des biens acquis une fois pour toutes [16][16] Ibid., p. 163. ».

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Il conviendra dans cette perspective de tout mettre en œuvre pour rendre possible le décloisonnement des imaginaires et des savoirs institués, en rappelant dans cet horizon que si nous vivons dans des sociétés des flux d’informations, il y a une grande différence entre regarder et voir, comme entre connaître et comprendre : « Être exposé à de l’information, souvent, n’importe où et parfois même involontairement, n’implique pas nécessairement que l’on comprenne ce qu’elle reflète. Saisir le monde au sens de le faire tenir dans un réseau afin qu’il réponde au moindre clic ouvre de fantastiques perspectives, mais cela ne signifie pas toujours savoir le déchiffrer, le comprendre [17][17] Zygmunt Bauman, avec Ezio Mauro, Babel, traduit de.... » Il nous revient par conséquent d’accroître nos efforts pour déployer nos capacités de déchiffrement d’un monde où l’ambition de la modernité demeure pleinement ouverte. L’enrichissement des valeurs qui la portent (l’autonomie, la liberté, la rationalité sociale) est toujours au-devant de nous. Un avenir commun est donc à écrire, quelles que soient l’âpreté et la violence des crises que nous connaissons aujourd’hui. Il nous importera pour cela de continuer de scruter avec toujours plus de rigueur les paradoxes de notre condition présente en tenant compte de la relation intime qui unit « le citoyen autonome et indépendant sur le plan moral (et donc souvent indiscipliné, peu maniable et gênant) à une communauté politique à part entière [18][18] Zygmunt Bauman, La vie en miettes, op. cit., p. 39... ».

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